A mes collègues soignants,
Aujourd’hui, tout le monde semble découvrir nos métiers. Leurs difficultés. Nous, nous savons. Nous savons que ce sont des métiers d’amour de l’autre, de don de soi, de générosité. Nous n’avons pas attendu le Covid-19 pour réfléchir à notre choix de métier. A notre choix de vie souvent difficile. Nous sommes toujours partants pour remplacer nos collègues car nous pensons d’abord aux patients. Nous pensons à nos collègues débordés. Nous pensons à la qualité des soins.
Nous faisons face à la violence. Qu’elle soit verbale ou physique. Nous faisons face aux crachats, aux insultes, aux menaces, aux familles violentes. En refoulant notre colère. En refoulant notre sentiment d’impuissance et d’incompréhension. Nous mettons de côté nos soucis personnels, notre fatigue, pour le bien-être de patients pas toujours faciles à gérer.
Pendant près de vingt ans, j’ai partagé votre quotidien. Vos vies. Vos peines. Vos colères. Vos tranches de fous rires. Pendant près de vingt ans, parfois pendant douze heures, j’ai arpenté les couloirs, de jour comme de nuit, la fatigue chevillée au corps. Comme beaucoup d’entre vous (je pense à mes collègues aides-soignantes, aux agents hospitaliers souvent oubliés), je suis démolie par mon métier. J’ai le corps usé avant l’heure par des gestes aux patients, qui, souvent, sans s’en rendre compte, sont violents envers nous.
Comme j’aurais souhaité être à vos côtés! Comme j’aurais aimé prendre ce café solidaire froid. Café du silence. Café de l’émotion contenue. Café de la pause méritée mais décriée par les visites. Café-pause après les moments éprouvants. Après la perte d’un patient (eh non, nous ne sommes pas habitués à la mort). Après une agression non méritée. Comme j’aurais souhaité surveiller votre fatigue comme vous le feriez pour moi. Ce n’est
pas nouveau. C’est une habitude que nous avons de veiller les uns sur les autres.
Mes collègues soignants, en ces jours de confinement, je suis confinée comme les autres. Mon métier ayant eu raison de mon corps. De ma santé. Cependant, je pense à vous. A votre valeur enfin reconnue. A votre courage quotidien que le monde découvre, mais qui n’a rien de nouveau. Je pense à votre fatigue physique et mentale qui ne vous empêchent pas de continuer à prendre soin de vos patients.
Aujourd’hui, le monde vous salue aux fenêtres. Je ne le fais pas. Je ne le fais pas car il y a longtemps que j’applaudis votre courage. Il y a longtemps que j’entends vos cris de détresse. J’ai crié avec vous. Face au désert. Face à l’indifférence. J’ai vu les services s’alourdir. J’ai vu le personnel diminuer. J’ai remplacé au pied levé des collègues absents. Comme vous j’ai fait face aux restrictions. Je sais de quoi vous parlez. Ô pas la peine de m’expliquer. Je connais le fond de votre pensée. Je ne vous applaudirai pas car vous avez toujours été des héros ignorés. Blessés. Spoliés. Incompris. J’ai partagé ces moments. Nous ne sommes pas des héros quand nous faisons un métier que nous aimons. Que nous faisons du mieux que nous pouvons entre le manque de personnel, de matériel, de reconnaissance.
Collègues soignants, le Covid 19 vous a mis en avant. Je sais que vous n’aimez pas cela car vous préférez la discrétion. Tout ce bruit autour de vous, vous le mettez au service de ceux que vous soignez. Comme j’aurai souhaité
être auprès de vous en ces moments de crise. Près de vous afin de vous soulager un peu de votre fatigue chronique. A mon humble niveau d’aide-soignante. Faire des gestes avec vous sans aucune connotation héroïque. Prendre ce café froid après le départ d’un collègue que vous n’avez pas le temps de pleurer. Café dans lequel se reflète votre inquiétude pour vos familles, vos patients. Pour vous. Je pense à vous. A votre profonde fatigue. A votre manque récupération chronique.
Vous avez toujours été des héros. Mais le monde s’en fichait. Le monde fermait les yeux et restait sourd à vos appels. A vos demandes d’aide. Aujourd’hui, ils vous découvrent. Il était temps, mes collègues soignants. Il était temps.
Amélie Diack