Née le 28 octobre 1923 à Port-au-Prince , descendante d’esclaves venus d’Afrique comme la plupart des Haïtiens , elle se découvre une vocation pour le théâtre à Haïti à la fin des années 1940 et au début des années 1950. Après une formation classique – études au Collège du Sacré-Coeur (Filles de la Sagesse) puis au Lycée de Jeunes Filles d’Haïti où elle obtient son baccalauréat – Jacqueline Scott enchaîne avec l’Institut Commercial Maurice Laroche et la Croix Rouge de Port-au-Prince avec à la clé, un diplôme de sténodactylo et un autre en puériculture et premiers soins. Sa formation de comédienne peut alors débuter au Centre d’Art Dramatique de l’Institut Français d’Haïti avant de se poursuivre au Conservatoire d’Art Dramatique de Port-au-Prince. Elle y jouera plusieurs pièces, dont Negro spiritual d’Yves Jamiaque et Antigone d’Anouilh. Quittant Haïti où elle juge le régime de François Duvalier invivable, elle vient en France en 1962, et travaille tout d’abord à la Maison de la Radio . Comme comédienne, elle a l’occasion de jouer dans Les gouverneurs de la rosée de l’auteur haïtien Jacques Roumain, adapté par Hervé Denis. Elle est remarquée par Jean-Marie Serreau venu voir la pièce, et se voit proposer de créer le rôle de Madame Christophe, dans la pièce d’Aimé Césaire mise en scène par ce même Jean-Marie Serreau, La Tragédie du roi Christophe, en 1964. Ce spectacle lui permet également de rencontrer son futur époux, Lucien Lemoine, comédien, puis metteur en scène, poète, animateur d’émissions culturelles à la radio et enseignant. Ils se marient en 1964. Elle participe à une tournée européenne, consacrée à cette pièce, avec la troupe de Serreau, puis elle la joue au Sénégal, en avril 1966, où la représentation est un des événements du premier Festival mondial des arts nègres. Elle et son mari décident de s’installer au Sénégal. Elle en adopte la nationalité dix ans plus tard.
Elle intervient comme actrice au théâtre, notamment dans La fête à Harlem, écrit et mis en scène par l’Américain Melvin Van Peebles, et Les Nègres de Jean Genet mis en scène par Roger Blain, et dans d’autres pièces du répertoire du Théâtre national Daniel Sorano de Dakar, sous la direction de divers metteurs en scène dont Raymond Hermantier, Maurice Sonar Senghor, Jean-Pierre Leurs, etc. Elle joue également au cinéma, en particulier dans Le Décaméron noir, le film de Piero Vivarelli sorti en 1972, et dans Amok, le film du marocain Souheil Ben Barka, sorti en 1982. Elle participe à la vie culturelle du Sénégal sous diverses facettes. En 1989, elle crée un spectacle de danse et de poésie, Afrique corps mémorable, avec la chorégraphe franco-sénégalaise Germaine Acogny. Elle est rédactrice de la revue Entracte. Elle produit pendant 12 ans, avec son mari, l’émission La voix des poètes à la Radio-télévision du Sénégal. Elle devient régisseur de la programmation et de l’organisation des spectacles du Théâtre national Daniel-Sorano de Dakar. Dans les années 1990, elle anime avec Lucien Lemoine un atelier de recherche et de pratiques théâtrales à la faculté de Lettres de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar . Elle intervient comme enseignante, avec son mari, au Centre d’études des sciences et techniques de l’information (CESTI). En 2005, elle publie Les Nuits de Tulussia, un ensemble de récits et de nouvelles, chez Présence Africaine en 2005, puis en 2007, La ligne de crête, une pièce de théâtre . En 2005 encore, elle joue pour la dernière fois lors de la célébration des 40 ans du Théâtre national Daniel-Sorano , et interprète le personnage de la Reine-mère dans la pièce L’Exil d’Albouri de Cheik Aliou Ndao .
À Dakar, le désormais couple de Jacqueline Scott-Lemoine et Lucien Lemoine côtoie des compagnons de l’errance qui ne les quitteront pas, dont les poètes Jean Brière, Roger Dorsinville et Morisseau-Leroy : ces « législateurs non reconnus de l’univers », comme elle les appelle, les compatriotes qu’elle récite au détour de n’importe quelle conversation, quel que soit le sujet. Et à force, la poésie devient art de vivre, les vers remplacent les mots ordinaires. Ainsi, il arrive même qu’un extrait d’un Roumer, un Philoctète ou un Depestre soit préféré à un proverbe, avec la même efficacité. Marquée par les romans de Jacques-Stephen Alexis (entres autres), Jacqueline Scott-Lemoine évoque le style élégant d’un Danticat ou loue un Frankétienne qui peut écrire en français et en créole, avant de convenir toutefois qu’elle ne fait partie d’aucune école. Y a-t-il une autre raison d’écrire sinon qu’une réponse à sa nécessité même ?
Les routes qui ne promettent pas le pays de leur destination, disait René Char, sont des routes aimées. Devenue citoyenne sénégalaise en 1976, Jacqueline Scott-Lemoine revendique avec la même force sa part du Sénégal et celle d’Haïti. Toute une génération – de journalistes sénégalais, de personnalités du monde des lettres et du théâtre africains – a vu le couple enseigner et vieillir ensemble. Jacqueline Scott-Lemoine est une référence telle à Dakar qu’il arrive, s’amuse-t-elle à rappeler, qu’un chauffeur de taxi vous ramène chez elle depuis l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor, rien qu’en évoquant son nom. Le modèle du couple, amants éternels, est sans doute pour quelque chose, mais le charisme naturel de Jacqueline et sa jeunesse figée à jamais (est-ce la poésie ?) sont indéniables. Est-ce à dire qu’elle n’a pas ses moments de doute ? Sa persévérance soulève les montagnes : quand le 13 avril 1997 son fils unique décède d’un accident de voiture à Paris, elle décide de poursuivre le chemin, pour elle, pour lui. Jacqueline Scott-Lemoine est décédée à Dakar le 9 juillet 2011.
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